Introduction
L’histoire du Japon, si l’on considère qu’aucun pays n’a été aussi continûment, aussi complètement isolé, est celle de plusieurs " tentations de l’Occident " (Chine avec l’introduction du bouddhisme au VIe siècle ; Europe avec le " siècle chrétien ", 1542-1638 ; monde moderne avec la restauration de Meiji) et de longues périodes de repli féodal, orageuses ou, sous les Tokugawa, " miracles d’ordre et de discipline ", au cours desquelles le Japon digère ses acquêts de civilisation et choisit les règles de son comportement social. Imprégnée à l’origine de la culture chinoise qui déferla, au VIe siècle, avec l’introduction du bouddhisme, la civilisation japonaise en a décanté, adapté, transformé les enseignements. L’avidité de la connaissance extérieure (la " science hollandaise " des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles) et le mépris de l’étranger se disputent l’esprit du Japon ancien, pays qui ne sera jamais occupé avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, période au terme de laquelle les États-Unis, conscients de la valeur du peuple qu’ils ont vaincu, restitueront au Japon sa dignité et sa personnalité ; ils sauveront l’institution impériale qui, dépourvue en fait à travers l’histoire de pouvoir réel, constitue le symbole du pays, celui qui " impose à la nation l’obligation de ne pas mourir " (P. Claudel).
L’équilibre social du Japon a été longtemps maintenu en fonction de règles économiques : organisation autoritaire des villages, des métiers, du commerce, de la consommation des diverses classes sociales. Depuis qu’il a renoncé à l’expansionnisme impérialiste inspiré par les besoins du ravitaillement de son peuple et de son industrie, le Japon s’est organisé de manière à dépendre, pour sa subsistance, de sa seule production de masse de biens de grande consommation et de produits de haute fabrication (constructions navales, par exemple). Grâce à l’absence de toute tradition universaliste, le Japon s’est, lors de la restauration de Meiji, facilement adapté à l’âge moderne. Il est aujourd’hui devenu l’égal des principales puissances de l’univers. Si la société et l’économie japonaises comportent toutefois des domaines moins développés, voire des secteurs archaïques, le système du Japon moderne tire en fait de ses traditions, sur le plan de l’organisation du travail et de la discipline, des avantages certains. Il est ainsi devenu le troisième Grand du monde industriel, en dépit de sa légendaire pénurie en matières premières.
Après avoir tenté de dominer par la force, à l’époque du militarisme, la " zone de coprospérité " de l’Asie, le Japon pacifique d’aujourd’hui qui a, par sa Constitution, renoncé à la guerre et aux armements offensifs, intervient, par son commerce très actif, et accessoirement par son aide aux pays sous-développés dans tous les pays de l’Asie (y compris, pour le commerce, la Chine rouge, la Corée du Nord et le Nord-Vietnam, en dépit des liens politiques qu’il conserve avec Taiwan), dans le Pacifique, dans l’Asie du Sud-Est et en Inde. À ces pays jeunes, il offre, avec des biens de consommation et des produits manufacturés, les moyens de s’équiper ou de produire eux-mêmes.
Le Japon étend actuellement cette politique aux pays du monde arabe, de l’Afrique noire et blanche, et réclame, aux Nations unies, une place plus conforme à son rôle réel dans le monde.
À l’abri d’un parti dominant, étroitement lié aux affaires, moins politicien que gestionnaire, et suprême conseiller du développement économique et social de l’État, la vie politique est d’ampleur réduite. Négociateurs, les syndicats mesurent leurs revendications en termes politiques précis et visent moins à la prise de possession du pouvoir qu’au contrôle efficace du capitalisme. Le niveau de vie des Japonais s’élève ainsi régulièrement en fonction de l’accroissement de la prospérité nationale. Le renouveau du mouvement nationaliste n’entame pas la conviction qu’a le peuple japonais de dépendre du reste du monde pour la conservation même de son patrimoine et de sa prospérité. L’agitation révolutionnaire est ordinairement l’apanage d’une jeunesse impatiente, que la nécessité d’assurer sa subsistance et la fondation d’un foyer ramène ordinairement au sein de la communauté japonaise, où la contestation intellectuelle persiste néanmoins sous la forme artistique, littéraire et philosophique.
La stabilité économique et politique, l’abondance de la main-d’œuvre (prélevée sur la masse agricole dont la déflation est assurée par une spectaculaire mécanisation et par l’augmentation des rendements), son haut degré de formation, le faible poids des charges militaires et économiques, le développement du capitalisme populaire, l’organisation structurelle des industries, la circulation de l’argent par l’accroissement de la consommation d’un marché intérieur gigantesque, tous ces éléments font du Japon moderne un pays qui, sorti de son isolement grâce aux leçons de l’étranger, et, s’il tend progressivement aujourd’hui à dépendre du monde extérieur par son commerce, aspire à vivre de plus en plus par et pour lui-même.